Vendanges 2010
Le travail du vigneron tout au long de l'année, ce n'est rien d'autre qu'un dialogue avec son environnement naturel, qui tourne souvent au combat, en vue de conduire vigne et récolte vers la vendange en les gardant des précipices qui les guettent et qui ont nom : Mildiou... Oïdium...Botrytis... et encore bien d'autres...
Rarement un millésime aura autant frôlé le précipice que 2010 et se sera finalement rétabli avec autant de réussite. A l'heure où nous écrivons ces lignes, c'est avec bonheur et dans le calme que les rues des villages de Bourgogne, assoupies sous le soleil, se gorgent des riches odeurs qui émanent des cuves en fermentation, alors que la vigne, soulagée de son fruit, apaisée, se prépare au sommeil automnal et à l'enfantement de la prochaine récolte.
Jusqu'à la floraison, le début de la saison fut sans histoire, même si le vent des Rameaux qui, selon le dicton, préfigure le vent dominant de l'année, fut un vent d'Ouest, c'est-à-dire peu favorable, porteur de nuages et de pluie, au contraire du vent du Nord si désiré puisqu'il amène avec lui temps sec et lumière. Et finalement, ce sont bien des vents d'Ouest et de Nord-Ouest qui furent dominants en 2010.
Voici pour nous les faits marquants de cette campagne qui a comme jamais réclamé du vigneron à la fois science, expérience et rapidité d'intervention. Si l'on voulait comparer un millésime comme celui-ci, plein de défis et de chausse-trappes, à une épopée homérique, on dirait que la qualité première du vigneron ce n'est pas l'héroïsme d'Achille ou d'Hector dans l'Iliade, mais la prudence, la ruse et l'obstination d'Ulysse dans l'Odyssée.
La floraison a toujours une influence capitale dans la construction d'un millésime, puisque c'est à ce moment-là que, selon que les conditions climatiques sont favorables ou défavorables, la vigne va féconder toutes ou beaucoup des grappes et des baies qu'elle porte ou au contraire en féconder peu. Dans les deux cas, l'influence sera déterminante sur le volume récolté et par là sur la qualité du vin.
En ce début juin, quand débuta la floraison, pluie et températures basses prévalurent. Il en résulta de la coulure (baies avortées), du millerandage (petites baies aux peaux épaisses) et, du fait de l'étalement de la floraison sur une bonne semaine, une inégale évolution vers la maturité de cep à cep, de grappe à grappe et même de baie à baie dans la même grappe.
Ce type de floraison, limitant pour la quantité puisqu'il diminue la charge de raisins à mûrir, est souvent favorable à la qualité, notamment dans le cas de saisons climatiques difficiles, comme ce fut le cas en 2010.
La floraison peu féconde et inégale est ainsi le premier fait marquant du millésime. Il ne va pas décider de la qualité finale, mais aura sur elle une forte influence.
En Juin et juillet on connut une alternance de périodes chaudes ou très chaudes, mais jamais caniculaires, et de périodes humides, favorables au développement du mildiou et d'un botrytis précoce. Comme il est normal en option « bio », la lutte anti-cryptogamique doit être d'autant plus attentive, continue et sans relâche qu'elle ne peut que prévenir ou protéger, mais non guérir et, à ce titre, le risque de la défaite est sans cesse présent, bien davantage qu'en option chimique dite conventionnelle. C'est pourquoi l'expérience et l'observation sont primordiales.
Ce combat contre les ennemis de la vigne, c'est le domaine de Nicolas Jacob, notre chef de culture et de son équipe. Ils ont fait un travail remarquable si bien que la vigne aborda la véraison (le stade où les baies de Pinot virent au rouge) et le mois d'Août dans un état sanitaire très satisfaisant.
Août fut exceptionnellement humide et froid - on atteint les records de précipitations pour la période - et la maturation, à partir d'une véraison qui montra clairement les inégalités initiées à la floraison, avança à un rythme ralenti. C'est le deuxième fait marquant du millésime : certes la climatologie est très défavorable en Août et ce régime se poursuit en Septembre avec alternance de chaleur et d'orages, mais la structure qualitative du raisin, millerandé, à petites baies et peaux épaisses, se confirme et même se consolide. C'est grâce à cette solide structure que les raisins se révèleront résistants au botrytis qui sévira en fin de maturation.
Quoi qu'il en soit, début Septembre, à l'approche des vendanges que l'on prévoit pour le 20 Septembre, l'optimisme n'est pas de rigueur. Le temps reste toujours incertain, gouverné par des vents d'Ouest et du Sud qui amènent des alternances récurrentes de chaleur humide et d'orages. On est dans cette situation classique des vignobles septentrionaux où souvent, en fin de cycle, les conditions climatiques font que s'installe le scénario bien connu où la chaleur venue du Sud apporte un formidable coup de pouce à la maturation du raisin. Mais cette chaleur est source d'orages et ces orages favorisent la poussée du botrytis, même si le raisin en 2010 résiste bien grâce à sa structure. Botrytis et maturation progressent l'un et l'autre. Au vigneron de déterminer par la date de vendanges le juste milieu qui permettra de récolter des raisins mûrs et avec un pourcentage d'altération acceptable.
Le 12 Septembre, une violente grêle détruit une partie du vignoble de Santenay et au cours du même orage, les Montrachet reçoivent des apports pluvieux qui, aidés par la chaleur humide ambiante, vont occasionner un développement spectaculaire du botrytis sur le vignoble de vins blancs.
Heureusement Vosne-Romanée reste à l'écart de ces grosses perturbations et profite de journées de soleil qui vont permettre au Pinot Noir de démontrer une fois de plus sa capacité à produire du sucre à cadence accélérée juste avant d'arriver à maturité.
Cette maturité est physiologiquement atteinte le 20 Septembre. Mais la vigne n'ayant jamais connu au cours de l'année ces moments de stress hydrique si utiles pour une maturité complète de sa matière phénolique, nous décidons de laisser le raisin gravir un échelon de plus, sous le soleil encore puissant, vers cette maturité optimale.
Il est rare que le temps de la vendange, c'est-à-dire celui de ces 8 à 10 jours pendant lesquels on récolte le fruit du travail de l'année, ne soit pas un concentré des caractères climatiques de la saison. Ce fut bien le cas en 2010, saison « cyclothymique » s'il en fut.
Le 22 Septembre nous vendangeons en Corton des raisins très sains et le 23 le Montrachet qui, suite peut-être à l'orage du 19 Septembre, connaît une très haute maturité et montre un intéressant pourcentage de pourri noble.
Le Vendredi 24, en même temps que nous commençons les vendanges à Vosne, des orages éclatent et en une seule journée des quantités d'eau importantes sont apportées à la vigne. Une humidité s'installe qui va s'incruster et demeurer jusqu'aux premiers rayons du soleil que nous ne reverrons que le 30 septembre. Il en résultera une progression régulière du botrytis, mais, c'est le troisième fait marquant du millésime, la maturité gagnée en fin de cycle reste acquise de même que la résistance du raisin à petites baies et peaux épaisses. Mais cette progression du botrytis oblige à une sévère sélection.
Nos équipes de vendangeurs vont faire le travail de « haute couture » dans lequel l'expérience acquise les a faits passer maîtres, d'une part laissant pour un deuxième passage de vendange les ceps porteurs de grappes à grosses baies ou moins mûres, d'autre part éliminant des bonnes grappes les parties atteintes par le botrytis. Ainsi c'est une vendange parfaitement saine et mûre qui, après que Bernard Noblet et son équipe aient parachevé ce travail de sélection sur la table de tri, fut mise en cuve.
Voici l'ordre dans lequel les vignes ont été vendangées :
Le 22 Septembre ....... les Corton
Le 23 Septembre ....... Le Montrachet et le début du Richebourg
Le 24 Septembre ....... Arrêt le matin - Après-midi : Richebourg
Le 25 Septembre ....... fin Richebourg et Romanée-Conti
Le 26 Septembre ....... La Tâche
Le 27 Septembre ....... La Tâche et début Romanée-St-Vivant
Le 28 Septembre ....... Romanée-St-Vivant
Le 29 Septembre ....... fin Romanée-St-Vivant et début Grands-Echezeaux
Le 30 Septembre ....... fin Grands-Echezeaux et début Echezeaux
Le 1er Octobre .......... Echezeaux
Le 2 Octobre ............. fin Echezeaux et début 2ème passage
Le 5 Octobre ............. fin 2ème passage
Les vendanges s'étant déroulées par temps plutôt froid, de belles macérations pré-fermentaires naturelles se sont établies, permettant aux peaux épaisses des raisins de relâcher lentement tanins et anthocyanes, si bien qu'à la date où sont écrites ces lignes, après environ dix sept jours de cuvaison pour les premières cuves vendangées, on a de belles mousses roses aux remontages, des robes colorées et des vins qui, au nez comme en bouche, présentent une belle structure tannique. Les acidités sont de bon aloi et comme indiqué plus haut les arômes de fermentation sont nobles.
Quant au Montrachet, qui a commencé sa fermentation en fûts, il devrait être somptueux.
C'est tout ce que l'on peut dire pour l'instant en attendant que ces tendances se confirment et que nous puissions vous donner des impressions plus affirmées sur les vins finis.